• 172 - New York un dimanche d'hiver

    Exilé chez les Yankees, j'ai parfois éprouvé un immense ennui dans la Babylone de béton.<o:p></o:p>

    En hiver, sous le coup d'une lancinante averse de neige fondue ou d'une ondée mollement déversée par un ciel sans espoir, New York prend le visage morose et plombé des jours de deuil et d'ennui, qui est le visage universel des grandes villes sous les pluies de janvier.<o:p></o:p>

    Les rues sans soleil semblent soupirer sous la glace qui se brise, sous les pas qui s'enlisent, et les grands pans de murs qui s'élèvent de toutes parts pèsent comme des ombres démesurées sur l'âme des passants.<o:p></o:p>

    Les visages humains prennent alors le ton terne de la ville. Et les pierres comme les coeurs, définitivement, sont tristes.<o:p></o:p>

    Les têtes si hautes de New York, je veux parler des tours, soudain paraissent déshéritées, misérables. Leur majesté, leur gloire, leurs regards de géants, si fameux au soleil, s'effacent devant la grisaille immense qui s'étend, répercutée de pierres en pierres, de rues en rues, de gratte-ciel en gratte-ciel...<o:p></o:p>

    Des ailes sombres recouvrent ce monde qui est un univers entier depuis le Bronx jusqu'au fond de Brooklyn en passant par Manhattan et le Queens, et lorsque je longe les hauts murs de la rue ou j'habite, je me sens au bord d'une tombe sans limite.

    La cité a des allures de ville de province sous l'onde froide de la saison brumale, et je sens tous ses habitants prisonniers d'un interminable dimanche aux barreaux de béton gigantesques comme l'Empire State Building. Alors je vois un peuple encerclé de gratte-ciel, recouvert de froid, de pluie, de béton. D'ennui. Les tours de New York ne me font pas rêver.<o:p></o:p>

    Mon éden n'est pas ici.<o:p></o:p>

     


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  • 171 - L'honnêteté de la chair

    Daignez, Mademoiselle, prêter quelque attention au discours inattendu que je me suis mis en devoir de vous tenir ici, au lieu de plus accoutumés propos.<o:p></o:p>

    L'amitié que je vous porte est vive et constante, vous le savez. Mais je dois vous avouer que c'est essentiellement vers le siège de mes émois les moins avouables que se font sentir les effets de cette amitié. Les passions que vous avez su inspirer à mon coeur par trop sensible sont, paradoxalement, celles de la chair. Vous ne l'ignorez plus désormais. Ce commerce qui me lie à vous en devient certainement éhonté à vos yeux, cependant considérez je vous prie ces manifestations outrancières de ma virilité comme les immédiats, naturels et plus sûrs hommages qu'un ami puisse rendre à une femme de prix.<o:p></o:p>

    Sachez faire bon accueil à cette flamme que vous n'espériez point. Elle a au moins le privilège d'être durable, sincère.<o:p></o:p>

    Mais si vous estimez qu'à la proximité de votre beauté mon coeur s'est corrompu au point d'en vouloir à votre vertu, alors sachez que loin de refroidir ces feux que je vous destine, vos raisons, pour austères qu'elles fussent, ne feraient au contraire que les aviver.<o:p></o:p>

    Votre séant, bien plus que votre habituelle conversation, agrée singulièrement à mon coeur esthète. Quant à vos plus nobles appas, ils m'inspirent, Mademoiselle, autant de passion. Votre personne entière trouve grâce à mes yeux. Mais votre intact hymen est encore à conquérir, et c'est avec transport que j'irais vérifier la profondeur de votre piété.<o:p></o:p>

    Mais je vous sais sage et non corrompue. Aussi, si vous chérissez ce fragile écran de chair au point de refuser de le sacrifier en l'honneur d'un ami, je vous propose de recevoir plus à l'étroit mais avec autant de conviction l'hommage de ma ferme, profonde, impérissable amitié.<o:p></o:p>

     


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  • 170 - Un défi christique

    Lettre envoyée à un jeune prêtre catholique.<o:p></o:p>

    Mon Père,<o:p></o:p>

    Les dignitaires de notre Église bien-aimée se devant de montrer l'exemple à leurs ouailles, nous en convenons tous, une idée m'est venue : si nous leurs faisions passer un examen ? Une sorte d'épreuve grandeur nature à l'image de leur concret engagement sur le terrain, parmi les hommes. Au nom de la cause pie, quasiment céleste que ces hautes gens défendent, je ne doute pas que ma proposition sera accueillie avec chrétienne allégresse. Je présage que celle-ci remportera un réel succès auprès de ces membres choisis du clergé, habituellement si prompts à donner corps à leur publique piété.<o:p></o:p>

    Une si éloquente mise à l'épreuve ne peut se refuser. Comment douter de la valeur des éminences de l'Église ? Et qu'elles s'abstiennent pour une fois de faire les humbles : l'occasion leur est donnée de nous montrer le prix qu'elles mettent à leur cher sacerdoce.<o:p></o:p>

    Venons-en au fait. Ne serait-il pas séant que vous demandiez à un évêque de piétiner en public, et avec coeur, ses plus irréductibles attributs (mitre et crosse), au nom du fait que l'attribut n'est point l'essence, que l'essence vaut encore mieux que l'attribut, et que sans cette éclatante initiative aucun évêque ne saurait être crédible (le piétinement d'objets d'apparat équivalant à un glorieux renoncement des convenances ecclésiastiques) ? <o:p></o:p>

    Je m'explique.<o:p></o:p>

    Le sacrifice est un geste d’élévation, il est pur altruisme. L'amour qui se désiste dès le moindre sacrifice ne vaut guère. Gratuit, irrationnel l'amour est cependant exigeant, c’est ce qui fait son infinie valeur. Il faut concrètement mettre un prix aux choses, ne pas hésiter à mettre en pratique certains principes, exalter la portée de l’acte. C'est le principe que je défends au sujet de la mitre et de la crosse. Il ne serait pas mauvais de les faire piétiner en public par l'évêque en personne, de temps à autre, aux fêtes de Noël ou de Pâques, par exemple. Il s'agit surtout de montrer aux fidèles, qui ont toujours tendance à s'égarer, que l'essentiel n'est pas dans le sceptre du roi mais dans le coeur des hommes.<o:p></o:p>

    Autrement dit s'il fallait qu'entre ces deux intérêts, attribut et essence, l'un fût à sacrifier pour le salut de l'autre, ne verrait-on pas triompher la cause dictée par le choix le plus congru ?<o:p></o:p>

    Rien de trivial dans cette affaire, juste une banale épreuve que je ne craindrai pas de qualifier de biblique. Les évêques que je tiens pour de saintes conceptions théoriques n'en sont pas moins pécheurs en réalité, mais surtout hommes perfectibles, au même titre que n'importe quel quidam de cette Terre. Et sous leur pied vaillant au service de la vérité prendraient tout leur sens les paroles quasi christiques du Petit Prince : "L'essentiel est invisible pour les yeux."<o:p></o:p>

    Mon dessein n'est pas autre que de vérifier l'aptitude et la promptitude des évêques à piétiner publiquement mitres et crosses. Autrement dit, de vérifier la profondeur de leur piété, la grandeur de leur âme, le poids de leur vocation.<o:p></o:p>

    J’espère de tout cœur que ma proposition sera prise au pied de la lettre, que sous mon impulsion l'exemple tombera d'en haut. Soyez témoin mon Père de mon sincère, pieux empressement de voir foulées mitres et crosses par le talon de leurs légitimes porteurs. <o:p></o:p>

     


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  • 169 - De la poussière pour atteindre le Ciel

    Mademoiselle,

    Je vous ai aimée dans la clarté sereine d'un humble vitrail d'église. <o:p></o:p>

    A l'heure où je vous écris, à peine sorti de cette église, je me sens intimement uni à vous, illuminé par le souvenir de cette pauvre clarté. Je vous ai rejointe dans les hauteurs pures de l'âme en éveil, là où s'exprime l'amour plein d'éclat. Laissez-moi vous raconter...<o:p></o:p>

    J'étais seul dans cette église triste, assis sur un banc, attentif au jeu étrange de la poussière dans un soudain rai de lumière. C'était le croisement de deux mondes. La lumière d'en haut descendue à la rencontre de la poussière issue de la terre pour former ce brouillard ne matérialise-t-elle pas l'esprit vivant, l'âme mouvante ?<o:p></o:p>

     Comment de simples particules de poussières dans un rayon de soleil dévié par un vitrail anodin pouvaient-elles remettre en question tant de certitudes terrestres, faire bouger des montagnes d'habitudes matérialistes ? Ces choses apparemment insignifiantes me remuaient profondément cependant. Pas un bruit ne se faisait entendre dans l'église. <o:p></o:p>

    Le calme était solennel, la fraîcheur apaisante. Dehors les feux de l'astre accablaient la petite cité. De loin en loin j'entendais le passage des voitures sur la route, comme si elles n'étaient plus que de vagues intruses. Puis je ne les entendis plus. Elles ne faisaient plus partie de mon monde : j'étais déjà loin.<o:p></o:p>

    Alors, toujours assis sur le banc, imperceptiblement mon visage s'est retrouvé baigné dans ce bain de poussière et de clarté. Les particules tourbillonnaient autour de ma tête comme des étincelles argentées. Je me suis senti soudain emporté, corps et âme, en direction du rayon de lumière devenu irradiant. Et, perdant subitement tous repères, j'ignorais si j'étais encore dans l'église. Les particules de poussière se transformèrent peu à peu en des feux plus consistants, ralentirent leurs mouvements fébriles, s'éloignèrent les unes des autres, et je m'aperçus bientôt que je baignais dans une pluie d'étoile...<o:p></o:p>

    Je me retrouvai au coeur du cosmos.<o:p></o:p>

    Un silence majestueux régnait dans l'espace. Les étoiles étaient d'une beauté inouïe, elles brillaient d'un éclat inédit. Chacune d'elles formait un point éclatant d'une extrême pureté sur le fond noir, infini du ciel. Une paix immense m'envahit. Puis, venue du fond de ce ciel magnifique, une lueur se forma.<o:p></o:p>

    Elle apparut, d'abord floue, puis de plus en plus limpide, légèrement bleutée. Lentement, elle se mut en ma direction. Elle s'approchait. Et plus elle s'approchait, plus je sentais la fusion imminente entre cette lumière et moi. Et plus je sentais cette fusion sur le point de s'opérer comme une nécessité, une vérité, plus je vous reconnaissais à travers cette lumière.<o:p></o:p>

    Nous nous fondîmes l'un dans l'autre.<o:p></o:p>

    La rencontre fut foudroyante, éblouissante, cosmique. Divine. Nous accédâmes à la Vérité suprême en un éclair. Et chacun de nous vit dans l'autre le reflet de l'Eternité.

    Je me suis réveillé sur le banc de l'église. M'étais-je évanoui, endormi ? Avais-je rêvé ? Je sortis de l'église, songeur, pour me retrouver sous un soleil aveuglant. Et je m'en allai.<o:p></o:p>

    J'ignore si j'ai rêvé ou non, mais il y a une chose que nul n'expliquera jamais : juste avant que je ne reparte, dans l'église la poussière est retombée. Et, bien que la disposition des choses dans ces lieux sombres rende impossible une telle probabilité à quelque heure et à quelque saison que ce soit, le rayon de lumière issu du vitrail est pourtant venu jusqu'au fond de l'église frapper la tête du Christ en bois.<o:p></o:p>

     


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  • 168 - Le salut de l'esprit par l'artifice

    Je prône des valeurs artificielles, fabriquées de toutes pièces par la culture. Ce qui est issu de ce genre de pure culture est éminemment raffiné, élevé, sophistiqué : un signe de grande civilisation en fait. Seuls les sauvages sont proches de la terre. Les êtres évolués sur le plan culturel comme les aristocrates, les snobs, les mondains et autres piliers de salons vivent dans un monde d'artifice. L'artifice est le propre des gens évolués, lesquels sont détachés des préoccupations domestiques et blasés de tout avec élégance.<o:p></o:p>

    Je me réclame de cette civilisation superficielle, artificielle et surfaite.<o:p></o:p>

     


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