• 31 - A mes détracteurs

    Je lève mon verre à ces corbeaux de malheur posés sur un cercueil imaginaire orné de mes quatre initiales. Je bois l'absinthe de ma gloire, m'enivrant à la coupe dorée de mon art, dédaigneux, hautain, superbe et immoral, frondeur et princier.

    Votre fiel stérile n'a point la vigueur de mon fer vengeur, et vos chants criards pleins de haine ne valent pas le son mélodieux de mon aile dans l'azur. Vos plumes ténébreuses sont trempées dans une encre de misère, et vous décrivez dans le bleu du ciel des cercles lugubres, et vous écrivez dans le couchant embrasé des sentences infernales : vous êtes incapables de faire naître la beauté, salissant tout ce qui est sain, gracieux, noble...<o:p></o:p>

    Mais aucun de vos forfaits ne saurait m'atteindre : je suis l'intouchable albatros de la légende.<o:p></o:p>

     


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  • 29 - Au jour glorieux de mes funérailles

    Je veux être inhumé en grande pompe et en petits souliers. En bonne compagnie j'espère franchir la jolie porte du cimetière, entendre autour de mon linceul les médisances chuchotées. Pour ce grand jour de ma vie je veux des larmes. J'en veux des chaudes, des tièdes et des glacées. Des pleurs sincères et des sanglots hypocrites. J'attends pour ce grand rendez-vous des mines affligées, des faces de rat et des amantes franchement éplorées.<o:p></o:p>

    J'aimerais qu'un public admirable et douteux à la fois fait de femmes et d'amis, d'ennemis et de bêtes m'accompagne jusqu'à la tombe. Je veux pour mon enterrement rien que du beau monde : des saints et des salopards. Une assemblée composée d'amis fidèles et de Judas, de vierges timorées et de dévoyées, d'aristocrates et de chiens galeux. Et que chacun me rende hommage, m'ignore ou me maudisse à sa manière.<o:p></o:p>

    Il faut qu'au jour de mes funérailles ça sente la rose et la graille, l'encens et le mauvais cigare. Je veux une tragi-comédie, une fête ratée, une farce tournant court, du beau temps alterné avec de la pluie maussade. Que l'on rie et que l'on se désole, que l'on boive à ma santé et que l'on rende tout sur mon tombeau ! Que l'on banquète comme des paillards après le spectacle et que l'on vienne me demander pardon sous les étoiles.<o:p></o:p>

    Vous viendrez cracher sur ma bière, vous mes ennemis. Vous serez les hôtes de choix, la fête sera belle. Vous apporterez cet indispensable piment qui réchauffera un peu la viande froide. Quant à vous mes amis, vous serez là pour donner de la dignité aux réjouissances. Vous suivrez au premier rang le convoi funéraire : rôles secondaires qui ont toujours été les vôtres. Vous serez présents pour donner une bonne figure à cette pénible et joyeuse affaire. Et aussi pour abandonner quelques sous au curé.<o:p></o:p>

    Vous mes femmes, mes bien-aimées, mes mal-aimées, mes hochets, mes ardentes soumises, mes tièdes insoumises, mes fausses compagnies et mes chères fuyantes, je vous ferai un grand honneur ce jour-là. Bien mis et roide comme un soldat de plomb, j'écouterai vos doléances sans mot dire, sans broncher et sans nulle amertume. Vous pourrez vider vos besaces : je serai parfaitement pacifié, loin des passions terrestres. Vos charmants discours ne me feront plus aucun effet. Je serai roide, vous dis-je. Froid comme un glaçon, dur comme un coeur de pierre, d'une inébranlable rectitude. Une correction parfaite, un maintien irréprochable. Mais définitivement inerte.<o:p></o:p>

    Curé, vous m'enterrerez pas sans une dernière faveur : à ceux qui seront réunis autour de ma dépouille vous lirez cette plaisante histoire que je viens de leur écrire.<o:p></o:p>

     


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  • 28 - Le monde à travers mon lorgnon

    Prôner ce qui est ordinairement désigné comme des valeurs artificielles fabriquées de toutes pièces par la culture n'est-il pas finalement un signe de grande élévation de coeur, d'esprit ? <o:p></o:p>

    Ce qui est issu de la pure culture est éminemment raffiné, estimable, sophistiqué : un signe évident de civilisation. Seuls les sauvages sont proches de la terre. Les êtres évolués sur le plan culturel tels les aristocrates, les snobs, les mondains et autres piliers de salons, vivent dans un monde d'artifice. L'artifice est le propre des gens évolués affranchis des contingences domestiques, éloignés de toute préoccupation prosaïque et blasés (donc libérés) de tout avec élégance.<o:p></o:p>

    Je me réclame de cette civilisation prétendument superficielle, artificielle, surfaite.<o:p></o:p>

    Je suis un snob, un fat, un prétentieux. Je suis hautain, fier, méprisant. Je déplais à la roture, à mes voisins, au monde entier. Mais l'important n'est-il pas d'être satisfait de soi-même ? Ha ! Vous dirais-je avec quel auto contentement je contemple ma face le matin dans le miroir... Je suis un grand auto satisfait. Je ne me remets jamais en question tant je suis sûr de la valeur de mes opinions, de l'inanité de celles des autres, de l'importance de ma petite personne et de l'insignifiance de ceux qui sont dépourvus de particule.<o:p></o:p>

    Je suis snob, snob, snob... Et encore hypocrite, vaniteux, odieux. Je dégouline de mauvais sentiments. Je fais l'éloge de ma particule, de mon cher lorgnon, de mon nombril, de mon oisiveté. Snob et factice, voilà ce que je suis... Résolument snob et décidément factice. J'aime le superficiel, la feintise, l'illusion. Je défends les valeurs les plus contestées, les moins flatteuses.<o:p></o:p>

    Je suis tout ce que mes détracteurs se défendent d'être : snob et odieux.<o:p></o:p>

     


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  • 27 - Brûlons Sade !

    A propos des "120 Journées de Sodome".<o:p></o:p>

    Sade n'a rien de divin et tout de démoniaque, au moins à mes yeux. Sa pensée malade à l'extrême relève de la psychiatrie la plus lourde, et même d'une authentique psychiatrie d'exception. Un cas monstrueux comme il n'en existe nulle part dans le monde. Sa littérature sent la pourriture, l'excrément, la honte et les Ténèbres. Cette littérature, c'est le dépotoir de l'Enfer, la fosse du Diable, la Gueule ouverte de tous les démons de la géhenne.<o:p></o:p>

    Le seul point positif que je lui accorde, c'est qu'à travers les conceptions innommables, épouvantables, abominables issues de son cerveau damné, il permet d'élargir notre champ de conscience sur une réalité que la pensée ordinaire est incapable de concevoir. Une fois sensibilisé à ces conceptions extrêmes du Mal, on peut alors entrevoir une réalité aussi profonde et aussi extraordinaire que l'univers sadien, mais une réalité située à son exact opposé. On se dit que si un tel gouffre existe, la cime doit également exister. Et la conception d'un semblable gouffre fait ardemment désirer celle d'une cime. Alors on lève les yeux de force, on s'élève presque malgré soi, poussé, porté par les miasmes émanant de l'abîme fangeux.<o:p></o:p>

    On ne peut pas lire les "120 Journées de Sodome" sans éprouver un légitime malaise mental, et même physique. Je suis persuadé que nul ne sort indemne de ce cloaque. Cette lecture blesse l'esprit comme le ferait le métal tranchant sur la chair. Sade est un criminel de l'esprit. Les blessures qu'il inflige à ses lecteurs ne sont pas visibles à l’œil, certes. Cependant il agresse l'esprit sain de l'honnête homme, atteint la pureté, offense l'innocence, tente de tuer le beau.<o:p></o:p>

    Je suis pour la censure inconditionnelle de Sade. Je ne vois pas en quoi cette censure est criminelle ni ce que cette littérature apocalyptique peut apporter de bénéfique à l'Homme, sinon une image monstrueuse de ce qu'il n'est pas. En effet, comment peut-on faire d'un simple cas pathologique une cause générale ? Le patrimoine littéraire de l'Humanité ne perdrait vraiment pas grand-chose si on jetait une bonne fois pour toutes Sade sur le bûcher de la censure afin que nos enfants n'héritent pas de cette lèpre littéraire.<o:p></o:p>

    Face aux écrits de Sade, les défenseurs de la liberté d'expression se croyant investis d'une mission sacrée font figure de mauvais génies de la pensée. Comme si au nom de la littérature on pouvait défendre une cause si noire... Il aurait alors suffit à Adolf d'avoir la plume d'un héraut du malheur pour qu'on encense et défende ses écrits au nom de la littérature... Au bûcher "Mein Kampf" et les "120 Journées de Sodome", au bûcher ! Et tant pis pour ces messies des ténèbres, défenseurs d'une infernale, criminelle, pestilentielle liberté   d'expression !<o:p></o:p>

     


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  • 26 - Défense de la courbe

    La ligne, nul n'ose en douter, c'est droit, net, précis, direct. C'est la plus chère valeur en vigueur au siècle vingt-et-unième. Avec la ligne la sécurité est pour ainsi dire parfaite. Dans cette élémentaire structure linéaire, base universelle du nivellement, fusionnent avec un égal principe de régularité et de persistance toutes les normes ayant accédé au degré supérieur de la conformité la plus stricte, la plus stable, la plus implacable.<o:p></o:p>

    Sur la ligne s'étend la plus sécurisante, la plus constante, la plus juste des moyennes. D'un bout à l'autre de l'immobile schéma de rectitude, d'une extrémité à l'autre de l'immuable figure emblématique, du début au terme, en passant par le milieu, triomphe superbement l'ORDINAIRE.<o:p></o:p>

    Mais dans ce monde de sérénité linéale survient parfois l'inattendu, le baroque, l'inclassable : la courbe. Obéissant à des lois fuyantes, subtiles, incarnation odieuse de la fantaisie la plus gratuite, du désordre, fruit infâme de la nouveauté, elle brise toute certitude. La courbe est rebelle par définition. Elle se détourne d'emblée d'un chemin à la droiture sans faille, sans surprise, tracée d'avance par une volonté dénuée d'imagination. La courbe se démarque surtout de la ligne par son caractère indiscipliné, fantasque, inutile.<o:p></o:p>

    Elle se complait à décrire vains détours, allées et venues sans signification pratique. La courbe s'insère dans un espace d'anarchie joyeuse que la ligne, inexorablement droite, ignorera toujours. La ligne n'a pas de pire ennemie que l'ondulation. Une ligne régule, nivelle, aplanit une série de points. Alors qu'une courbe ne recèle pas ce secret inné de fatale régularité : chaque arc est unique, chaque boucle est nouvelle. De la courbe naît l'arabesque, l'image, l'onde qui donne la vibration. De la courbe naît l'imprévu, l'irrationnel, le romanesque, la rêverie, l'émotion, et c'est alors le triomphe sans équivalence de l'EXTRAORDINAIRE.

    Le monde actuel représente la ligne. Et moi, je suis la courbe.<o:p></o:p>

    P.S.

    Il s'agit essentiellement de la courbe labiale provoquée par la contraction des muscles zygomatiques.


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