• 185 - Le violoncelle

    Chère amie,<o:p></o:p>

    En ce jour de pluie Euterpe est à l'honneur : le violoncelle déverse ses larmes molles et sucrées, sanglotant comme un gâteau sénile. J'entends sa satanée mélodie. Quelque chose de dominical, poussiéreux, mortel... Il me parle et j'écoute ses fadaises : de la salade morose mêlée de confiture. Dessert de l'âme exquisément écoeurant. Le mets indigeste éveille en moi des appétits inédits : votre nom soudain est délectable.<o:p></o:p>


    Effet étrange des états d'âme morbides, alchimie mystérieuse des saveurs honnies...

    L'archet est un peu plus rapide. Les cordes s'agitent et peu à peu la guimauve durcit, le miel devient marbre, la courbe se brise... Et j'entends des sons de silex. Alors votre image banale s'estompe, vous devenez plus linéale. Une tige. <o:p></o:p>

    Perçantes et plaintives, les notes vous habillent d'épines. L'instrument se fait de plus en plus viril, et vous m'apparaissez avec un sourire écarlate. <o:p></o:p>

    Des sons sortent des ténèbres, lourds et solennels. Porté par ces ailes sombres et majestueuses, je m'affranchis des quotidiennes pesanteurs. Etat de grâce... Vu d'en haut vos traits sont plus flous. Transfigurés. <o:p></o:p>

    Les sons montent, montent... <o:p></o:p>

    La musique se fait aiguë, aiguë... Si aiguë que le rêve se brise !<o:p></o:p>

    Comme une corde trop fine qui se casse. <o:p></o:p>

    Et à travers le chant strident de l'instrument redevenu source de migraine, je crois entendre vos sempiternelles jacasseries.<o:p></o:p>

     


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  • 184 - La brique et le lierre

    Je me suis vu sous des ombrages qui me sont chers, en un lieu oublié, connu de mon enfance seule. Et sous ces feuillages mouvants d'un été ancestral, des instants prestigieux de ma jeune existence se sont écoulés, paisibles et tendres. Cette terre en souvenance, cet éden humblement foulé par l'âge puéril, ce jardin de nostalgie, c'était un parc, celui d'un château.<o:p></o:p>

    Les frondaisons qui ondulaient sous la brise chaude rivalisaient de majesté, de gloire et de grandeur séculaire avec la façade claire du château. Je me souviens particulièrement de ses murs élevés, de ses fenêtres innombrables, de son aspect magistral et gracieux comme d'un paysage quotidien, familier, rassurant. Ces images m'envoûtent comme lorsqu'on retrouve, une fois adulte, une ambiance ensevelie dans la mémoire se rapportant aux heures innocentes de la vie.

    Où me trouvais-je ? Qui étaient les hôtes de ce château ? Quel âge avait ma jeune âme ? Et ce château, était-ce, réellement un château ou bien un rêve, une fantasmagorie d'enfant ?<o:p></o:p>

    Plus tard j'ai retrouvé ces lieux perdus. J'ai goûté à plein coeur ces saveurs idylliques, j'ai senti le poids incomparable de la pierre érigée à glorieuse hauteur, j'ai eu chaud sous le souffle refroidi des passions d'antan, éteintes depuis un siècle. J'ai reconnu les verdures estivales apprises je ne sais où, je ne sais quand, et j'ai eu l'ivresse d'un jour, l'ivresse mélancolique. J'ai retrouvé mes chimères. C'était sous le règne de l'Amour, c'était au temps de l'indélébile illusion. La rencontre enchanteresse de la vigne vierge avec le vieux mur de briques rouges. Ce que l'on nomme communément : le lierre. Sur la pierre.<o:p></o:p>

    Un pan de mur ombragé par un bouquet de feuilles et quelques soupirs. Un pan de vie jamais effrité, toujours debout, dignement illustre, auguste, sans âge. Intact. Inébranlable.<o:p></o:p>

    Mais laissez-là mes briques, mes feuilles et mes larmes, aujourd'hui j'ai besoin d'être aimé pour une raison qui vaille, enfin : pour rien.<o:p></o:p>

     


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  • 183 - Les misères de la laideur

    Mademoiselle,

    Votre hymen intact ayant traversé les ans avec gloire et trompettes, vous n'en êtes pas plus honnête pour autant. Le vice masqué vous plaît. La fange, pourvu qu'elle se voile de chastes atours, vous agrée.<o:p></o:p>

    Vous êtes laide. Laide et corrompue. Méchante et perverse. Les âmes naïves vous aiment et les coeurs puérils vous encensent sans compter pour les dignes apparences que vous arborez. Moi je vois non seulement les traits de votre visage ingrat, mais encore la noirceur de votre âme aigrie. Si vous étiez belle, vous seriez une sainte. Mais vous êtes laide, et vous êtes un démon.<o:p></o:p>

    Les bigotes vous prennent pour un modèle de vertu. Le bon prêtre auprès de qui vous faites si bonne figure, dupé par votre piété mensongère, vous croit pleine de valeur. Comme si votre absence de joliesse conférait quelque beauté à votre âme... A la beauté va la vertu, à la laideur va le vice. Vous êtes née laide, vous mourrez damnée. Vous avez beaucoup reçu en disgrâce, il vous est donc beaucoup demandé en échange.<o:p></o:p>

    Mais vous êtes faible, et vous préférez la facilité. Votre malheur était pourtant prometteur. Vous l'avez gâché. Vous n'avez pas su contrer le vice. Le combattre vous aurait grandi. Mais vous l'avez adopté.<o:p></o:p>

    Vous êtes laide en dehors, laide en dedans.<o:p></o:p>

     


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  • 182 - Enigmatique et ambigu

    Dans mes yeux mystiques pénètre la lumière du monde et des étoiles. Mon regard qui se pose sur vous est un perpétuel point d'interrogation.<o:p></o:p>

    Les initiés voient dans mon oeil une lueur sacrée, comme si j'étais le vivant autel de quelque divinité. Les méfiants me supposent messager des enfers, soupçonnant un mauvais mystère au fond de mes prunelles.<o:p></o:p>

    Certains admirent mon aspect racé, mes formes élégantes, ma face pleine de distinction. D'autres craignent mon ombre qui passe, mon pas silencieux, mon air subtil. Il est vrai que si la société des gens bien nés ou fortunés fait mon affaire, me roulant dans de la soie entre le salon d'une comtesse et le bureau d'un archiduc, j'évolue avec autant d'aisance en pires compagnies. Et, indifférent à tout, perdu dans mes pensées obscures, je trouve également mon bonheur dans un taudis.<o:p></o:p>

    Rien ne m'atteint au fond de mon silence et de ma solitude. Et si j'ai l'air dédaigneux envers mes hôtes c'est que, accueilli chez le riche dans un fauteuil de style où je laisse mon empreinte douteuse ou bien chez le pauvre où je crache dans un méchant panier percé, partout on me traite comme si j'étais un dieu. L'humble comme le fortuné me flattent avec une égale dévotion. Ils me prodiguent louanges et caresses à n'en plus finir, même si la plupart du temps je demeure de marbre, observant de loin durant des heures entières mes bienfaiteurs.

    C'est surtout dans ces moments interminables et silencieux où j'observe que l'on me prend pour une divinité. Bénéfique pour les uns, méchante pour les autres.<o:p></o:p>

    On m'a donné le nom de chat.<o:p></o:p>

     


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  • 181 - Un poison candide

    Elle a le sourire mutin, le geste puéril et la mèche fringante. Deux prunelles venimeuses qui effraient déjà les hommes. Et font rougir le diable. Voilà une innocente au bord de l'enfer qui joue avec le feu, à peine consciente. Une âme d'enfant dans un corps de sorcière...<o:p></o:p>

    C'est une fleur qui s'éveille, douce, fragile, pubère. Et sanguine, vénéneuse, redoutable. C'est une eau vive qui jaillit, fraîche, chaste, prude. Et trouble, écarlate, insolente.<o:p></o:p>

    En ces traits gracieux et paisibles on sait de futures amours pleines de promesses trahies, de rendez-vous sous l'orage, d'étreintes impies, d'infidélités ostensibles et de serments voilés. Dans ces cheveux trop fins, trop longs, trop clairs, on devine déjà l'empreinte des baisers égarés, des brins de paille oubliés, avec la brise tardive du soir pour les chasser. Et puis des senteurs de musc dans le cou. Et un ou deux jaloux pour le lui reprocher.<o:p></o:p>

    Les robes blanches du jour alterneront avec les coupables échancrures de la nuit. Les ébats éhontés au fond des théâtres, les étreintes furtives aux coins des monuments, les baisers de voleur derrière les portes cochères et les soupirs indus destinés aux oiseaux de passage succéderont aux heures interminables passées à bayer sous les étoiles en sempiternelles compagnies : amants de longue haleine et inconnus fiévreux se croiseront sous les dentelles de ce démon sans défense. Inconstance innée et pouvoir insidieux de la femme ! Tant d'années glorieuses à venir... L'ange a hérité de la beauté des damnées. La créature terrestre prend forme. Et elle a toute une vie de femme à faire.<o:p></o:p>

    C'est une pucelle de quinze ans.<o:p></o:p>

     


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